En guise de titre et d’invitation à son exposition, Sarah Feuillas a choisi cette phrase de Churchill qui résume en quelques mots les rapports que nous tissons avec nos lieux de vie : les architectes et urbanistes conçoivent un bâtiment, une ville selon leur sensibilité, leurs règles, leurs codes ; au fil des ans, ces immeubles, à leur tour, façonnent nos comportements, nos envies et nos peurs. Se brouille ainsi la frontière entre la sphère publique et le domaine de l’intime.
C’est justement dans le lieu qui l’a construite que Sarah Feuillas a choisi d’organiser son exposition, au 42 rue Lepic, là où elle vit depuis l’enfance, espace investi des souvenirs d’une vie, refuge, mais aussi nid à quitter un jour.
Le cadre en devient personnel, comme une extension du foyer domestique. Pourtant, tout dans les œuvres présentées va à l’encontre de cette idée d’un cocon apaisant. Au centre, tels les fragments épars d’une machine de guerre se dressent des sculptures faites de matériaux de construction de récupération. Précaires, elles définissent pourtant un espace impénétrable, comme fortifié, que l’on contourne tout en ayant conscience d’une menace imminente. Leur présence devient en effet presque inquiétante lorsque l’on porte un regard sur les œuvres alentours. Des images, bricolées, retouchées, ravivées de lieux en ruines et désertés, que l’artiste a ramenées de ses voyages en territoires fantômes, en Ukraine ou en Palestine.
On découvre ainsi Retrograd, série d’images composites mêlant des vues de Berlin et de Palestine, qui nous plonge au sein d’une ville imaginaire. Au regard de ces lieux en ruine, notre mémoire s’anime, convoque les souvenirs anciens de livres d’histoires, de clichés de presse mais aussi d’images plus personnelles, hybrides, celles qui apparaissent seulement dans nos rêves ou nos cauchemars, lorsque la raison renonce et lâche prise. Autres paysages mis en pièces, la série Tests, composée de montages photographiques de vues de Palestine et d’Israël. Elle interroge les notions de destruction, de vestige mais aussi d’invasion, dans une partie du monde où le territoire, plus que nulle part ailleurs, se fait enjeu. Tout prêt, l’œuvre Through Walls nous dévoile des vues de lieux atomisés, Pripyat et Tchernobyl, mises en scènes dans un caisson transparent, où l’image elle-même semble sur le point de s’évaporer.
Des lieux bâtis pour l’homme et détruits par lui. Toute l’exposition nous invite à considérer la question de l’habitat, qu’il soit intime, publique, social ou politique. Celui de la région de Tchernobyl, dévasté et désormais mis en scène pour des voyageurs témoins ou adeptes du tourisme noir ; celui des états palestiniens et israéliens, envahis, où l’appropriation du territoire de l’autre passe par son asphyxie puis sa destruction. Espaces malmenés, où la vie ne semble plus présente que sous la forme d’empreintes. Ainsi, dans le cadre familier et rassurant de son exposition, Sarah Feuillas nous dévoile les reflets d’un monde abîmé, où l’humain et le bâti luttent tant bien que mal contre leur propre disparition.**