Acte I : Où les langues s’entremêlent
Imaginez un garage, au murs de parpaing laissant parfois affleurer quelques vestiges de briques. Cet espace est long d’une quinzaine de mètres et large d’environ cinq mètres. Il est divisé aux deux tiers par deux cimaises ménageant une ouverture en plein centre pour pouvoir accéder à la partie arrière du bâtiment. Malgré son aspect spartiate, il est bien aménagé pour un atelier.
Les artistes s’y sont répartis l’espace en délimitant des postes de travail, déterminés par un fonctionnalisme très empirique. Chacun.e cherche sa place au sein du groupe et vis-à-vis de sa propre pratique, délocalisée en un tiers-lieu perméable au dehors, puisque la porte une fois levée est comme un grand rideau de théâtre, révélant aux passants l’activité des artistes et inversement.
Au moment où la scène commence, la discussion principale porte sur les capacités d’adaptation du flamant rose, dont la particularité est de filtrer la vase à l’aide de son bec pour y puiser ses aliments. C’est la nourriture, variant en fonction de l’environnement dans lequel l’oiseau se trouve, qui donne à son plumage cette teinte allant du saumon au rose clair. Par analogie, les artistes acceptent de se laisser imprégner du contexte boulonnais, de ces rites et mythes locaux d’abord, puis des rencontres provoquées ou fortuites avec les habitants, pour se constituer un répertoire de motifs, de matières et de gestes qui viendront momentanément infléchir leur processus de création collectif.
Mais voilà que la tyrannie de l’individualisme refait surface et pointe du doigt les limites de la méthode : il ne suffit pas de mettre en commun pour faire du commun ! Comment s’assurer d’être compris.e quand on ne parle pas le même langage ? Conscient.e.s des enjeux et des difficultés de l’exercice, les artistes décident de rester fidèles à leurs désirs et de s’autoriser la dérive, les infortunes passagères et pourquoi pas l’échec.
Sarah occupe le devant de la scène, avec une structure métallique qui sert à la fois de piédestal pouvant accueillir des sculptures et à l’architecture d’un décor. L’escalier marqués par des arrêtes nettes semble avoir été conçu pour franchir un seuil imaginaire.
Sa fonction est volontairement ambigue : à la fois porte et fenêtre, son cadre renvoie à la définition même de la peinture de la Renaissance, qui est une fenêtre ouverte sur le monde. À cet environnement s’ajoutent des objets encapsulés dans la paraffine, formant de curieux stalactites, qui apparaissent dans la continuité d’un paysage désertique et déshumanisé.
Évoquant les nouvelles dystopiques de l’auteur britannique J.G. Ballard, cette mise en scène produit une impression d’inquiétante étrangeté. Par un jeu de transparence et d’opacité (grillages métalliques enduits de cire, film) l’artiste tend un miroir à l’attention d’une société en pertes de repères.