Entrevoir une scรจne. Il y a le topos, le lieu, et la faรงon dont il est investi par le regard. Sarah Feuillas empรชche lโลil de situer ce quโil voit. En multipliant les dispositifs qui dรฉvient la gรฉnรฉalogie du rรฉel, Sarah Feuillas nous mรจne lร oรน elle veut, cโest-ร dire, dans lโimpossibilitรฉ dโun lieu, lโindรฉtermination dโun espace, face ร face avec ce que Michel Foucault a dรฉ๏ฌni comme รฉtant une hรฉtรฉrotopie.
Elle cite volontiers le philosophe. Dans un texte de 1967 devenu classique mais dโabord non publiรฉ jusquโen 1984, il dรฉ๏ฌnit son temps ร travers ce paradigme ยซ Nous sommes ร lโรฉpoque du simultanรฉ, nous sommes ร lโรฉpoque de la juxtaposition, ร lโรฉpoque du proche et du lointain, du cรดte ร cรดte, du dispersรฉ. ยป Cette bribe de confรฉrence menรฉe au Cercle dโรฉtudes architecturales, dรฉ๏ฌnit bien ce quโil est possible de ressentir face aux images et aux piรจces en volume de Sarah Feuillas. Prenons par exemple le pan photographique de ses crรฉations, rien ne le dรฉcrit mieux que ce ยซ proche et lointain ยป, cette ยซ juxtaposition ยป. Les vues dโarchitectures le plus souvent sโentremรชlent, se cรดtoient pour mieux se fondre.
Le dรฉcor change sans cesse et se recompose comme dans Glimpse, (2018), tirage argentique foisonnant prรฉsentรฉ derriรจre une laniรจre de PVC pour mieux lโabsenter. Nous sommes face ร une scรจne ouverte que le regard modรจle au fur et ร mesure. Aussi, chaque regardeur est-il livrรฉ ร lโexpรฉrience de lโinterprรฉtation. Dans Overlayed scenes (Scrolling around), (2013 โ 2017), ensemble de 160 photographies imprimรฉes sur rhodoรฏdes qui dรฉ๏ฌlent et inondent la vue, les superpositions photographiques gรฉnรจrent un amoncellement dโimages strati๏ฌรฉes. Il faut tourner autour de cette composition pour trouver ses repรจres. Celle qui ne sโestime pas photographe dans son acception traditionnelle, utilise la photographie comme moyen ou outil. Un outil qui lui permet de gagner le territoire de lโinstallation. Lโartiste tient plus de la plasticienne de lโimage que de la photographe, on le concรจde.
Elle invite ร dรฉambuler autour de ses compositions comme on pรฉrรฉgrinerait dans un paysage inconnu, parfois hostile, jalonnรฉ de bรฉton, volontairement disgracieux et porteur dโun sens ร dรฉcouvrir comme dans Oush Grab rรฉalisรฉ entre 2013 et 2015. Sarah Feuillas convoque des espaces marquรฉs, typรฉs, chargรฉs en histoire, dans lesquels on ne vit pas facilement, rencontrรฉs lors de ses voyages en Palestine ou en Ukraine.
Pour Overland, sรฉrie de douze moules en bois noirci dont la forme encapsule un verre souf๏ฌรฉ, on retrouve cette idรฉe dโune architecture contrainte. Elle souf๏ฌe elle-mรชme le verre comme pour donner vie ร un espace intรฉrieur. Plus prรฉcisรฉment, redonner vie ร un espace meurtri. Ainsi, bois et verre en cohabitant offrent un monde oรน la paix paraรฎt retrouvรฉe.