Martha

Martha est un projet artistique novateur et participatif qui convoque différents aspects de la recherche, de la transmission et de la création. Il s’inscrit dans le cadre du programme de résidence AirLAB de l’université de Lille qui offre la possibilité à un·e artiste de développer un projet d’envergure en collaboration avec un laboratoire de recherche de l’Université.

Ce projet est réalisé avec le Centre de Recherche Lille Neuroscience et Cognition (LiLNCOG) autour de la reviviscence des souvenirs traumatiques. Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) est un trouble psychiatrique qui peut se développer après une exposition à des événements traumatisants ou si l’on a été témoin d’un danger, comme dans le cas de violences ou de catastrophes. Ce trouble provoque une détresse psychologique importante et se caractérise notamment par la survenue incontrôlable de reviviscences, au cours desquelles la personne revit l’événement et la charge affective qui y est associée. Ces reviviscences peuvent être déclenchées par des stimuli (des lieux, des objets, des pensées) si bien que l’individu a tendance à éviter ces stimuli, pour ne pas être de nouveau soumis à ces intrusions. Les émotions liées à ces visions évoluent dans le temps. Martha explore la mutation des émotions liées à un traumatisme et les manières dont l’impact s’est fait ressentir sur le continuum de notre vie.

Grâce à la participation du Centre National de Ressources et de Résilience (CN2R), le projet bénéficie d’un accompagnement sur la transmission des récits de patientes-partenaires. Le laboratoire de recherche LiLNCOG, quant à lui permet de quantifier la valence émotionnelle durant les entretiens. L’objet-refuge est un objet que l’on a chargé émotionnellement, il porte aussi le nom d’objet d’affection. Durant l’événement traumatique, ces objets se trouvaient autour de nous. Ils ont été témoins de la scène qui nous a bouleversée.

Martha propose de reproduire cet objet afin d’en transformer sa charge émotionnelle. Devenue sculpture, cet objet sera plongé dans le Port de Dunkerque pour plusieurs mois. Avec l’aide d’associations locales, nous accompagnons les sculptures sous l’eau et explorons les capacités régénérescentes et résilientes de la nature à se développer sur les objets du traumatisme pour en transformer sa forme. Le projet d’exposition retrace les multiples étapes parcourues par la monstration des sculptures et d’un film. Transformées par le temps et la nature, nous constatons la métamorphose de notre affect face au traumatisme.

Sculpture, installation et projection vidéo, mapping

Appartenant aux collections du Musée maritime et portuaire de Dunkerque, La Martha porte les marques de son passé tumultueux. Provenant du bateau de pêche à l’Islande La Martha, il sera vendu en Islande en 1910 par son armateur démantèle le navire et en rapporte quelques fragments en France, dont cette figure de proue. Devenue un objet de décoration, elle fut à la merci des intempéries et des tentatives de rénovations qui l’ont peu à peu dégradée. Acquise par le musée à la suite d’un don, elle subit une phase importante de restauration. La technique restauratrice consiste à disloquer la figure de proue intégralement pour immerger chaque fragment dans un bain de résine afin que le bois puisse se consolider. Dans le film, son histoire est racontée et elle renvoie à une image symbolique de résistance et de force qui fait écho aux récits racontés par les patientes-partenaires du Centre National de Ressources et de Résilience (CN2R).

Lors de ces entretiens, nous abordons leurs parcours, leurs émotions liées au traumatisme, leurs rapports vis-à-vis de ce dernier. Nous abordons des questions de mémoire et d’oubli ainsi que le rapport à la mer. Nous prenons aussi des mesures grâce à des outils pour mesurer l’activité électrodermale, l’activité cardiaque et la détection des expressions faciales. La participation du CN2R dans ce projet a permis la rencontre avec ces patientspartenaires afin de proposer une approche narrative de leur récit. Les différentes émotions ressenties lors de la narration ainsi que leur intensité font alors l’objet d’une analyse scientifique par le laboratoire.

Ce projet propose d’aborder la question du souvenir psychotraumatique à travers un objet symbolique qui témoigne de la mutation des émotions de la personne. Depuis notre enfance nous projetons des émotions sur des objets d’affection. Notre doudou nous a aidé à surmonter un certain nombre d’angoisses comme il a pu nous consoler. En grandissant, nous avons abandonné certains objets pour en charger d’autres émotionnellement que l’on relie à des souvenirs. S’ils sont traumatiques, ces souvenirs raviveront la mémoire de l’événement ou un élément annexe et par là, une blessure. Comment conserver une distance respectueuse avec l’événement et son souvenir tout en tendant vers un processus de résilience? Comment s’établit ce fragile équilibre entre mémoire traumatique et oubli?

Que ressentons-nous lorsque nous voyons disparaître nos ruines? Que transmettonsnous aux générations futures? Sur quels récits bâtissons-nous nos vestiges biographiques? Par l’approche émotionnelle de l’objet d’affection liée au traumatisme, ce projet aborde des questions écologiques.

Depuis toujours l’eau abonde de symboliques dans notre imaginaire. Elle est tantôt porteuse de vie, tantôt annonciatrice de mort. Après un choc, les souvenirs peuvent parfois s’effacer et plonger dans les méandres de la mémoire. Ils peuvent végéter là, durant des années, pour s’altérer et peut-être disparaître à jamais. Ils peuvent aussi refaire surface. L’association l’Aimant Dunkerquois a pour mission de dépolluer les rivières et canaux du Dunkerquois. Que les objets repêchés aient été jetés volontairement ou par accident, ils restent connectés à leur possesse·ur·euse. Ces objets ont passé un certain temps dans les profondeurs des eaux, que racontent-ils de notre époque? À l’issue des entretiens filmés, je propose aux gardiennes des objets de les réaliser en volume. Ces objets sculpturaux seront ensuite immergés dans le port de Dunkerque. Après avoir été immergés plusieurs mois dans l’eau, les sculptures se voient recouvertes d’organismes vivants, de sédiments et perdent petit à petit leur forme initiale et leur texture.

L’eau est un élément purifiant, on y réalise des rituels de passages ou de guérison, faisant de l’eau un symbole de renouveau, de régénérescence et de résilience. Elle est fluide, tout comme la mémoire qui peut être sujette à des changements et bouleversements. Elle est en perpétuel mouvement. Lors de l’immersion, les objets seront plongés pour une durée déterminée de six mois. L’eau est un personnage à part entière dans ce projet. Son reflet empêche d’accéder à ses profondeurs et d’aller puiser les formes du trauma oublié. D’une autre manière, l’eau conserve le trauma enfoui et la vie continue de s’y développer. Elle détient en elle une force de régénérescence.

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