Dauphins Architecture/ Maestro

2013

Sur un territoire lointain à l’histoire mal connue, se dressent 2 villes en vis-à-vis. La première est organisée selon un plan à dessein. Elle siège sur une colline qui lui donne des allures de forteresse.

La solidité des murs et la rectitude des rues sont toutes irriguées de l’esprit méthodique qui a pensé la ville.
En face, en contrebas plutôt, comme prosternée aux pieds de la citadelle,
se répandent des habitations bien plus précaires, elle est plus loin cette autre cité
et le motif qu’elle dessine n’a rien d’une obsédante géométrie, c’est en courbes informes
qu’elle s’érige.
Au milieu, à l’endroit même où l’on trace d’habitude les voies de communication entre les villes, il y a une vaste zone en pente douce qui semble totalement inoccupée. Ce pourrait être le no man’s land au-dessus duquel l’on se regarde avec les yeux de la haine si un paysan n’y exploitait pas une maigre colonie d’oliviers.

Cet homme, invisible en lui-même mais debout depuis les racines jusqu’au faîte des ses arbres est le seul usufruitier de ce bout de terre coincé entre 2 logiques irréconciliables, pour le moment.
En prenant soin de cette ligne de front, il est l’apatride et le pionnier, volontaire à chaque fois. Sur la ruine en devenir de cette guerre, il anticipe et laisse pousser l’avenir.
Propulsés malgré nous sur l’immensité d’une terre, en proie constante à la déterritorialisation, nous cherchons à fabriquer du familier autour de
nous. Habiter est l’enjeu d’une vie.
C’est Sarah qui m’a raconté cette histoire que je vous raconte à mon tour. Elle était sous un hangar, entourée de matériaux avec lesquels on érige nos architectures : ciment, sable, métal, verre et machine outils. Elle a raconté ses premières sculptures qui étaient de petits espaces de prière, des espaces de prise de conscience.
Elle réside aujourd’hui dans une ville qu’elle ne connaît pas, elle y construit naturellement sa demeure. Ce n’est pas par instinct de protection, ce serait trop facile. Elle ne s’isole pas
du monde et si vous la croisez un jour, vous rencontrerez une nomade, occupée à construire et organiser les bribes d’images, d’histoires et de formes qu’elle ramasse de ses voyages.
C’est une activité que l’on a tous pratiqué enfants, une activité de collages et de mémoire.
Regardez comment votre mémoire fonctionne, regardez comment elle discrimine, comment elle recompose, comment parfois, vous avez le sentiment qu’elle vous trompe.

L’histoire de chacun s’écrit avec l’oubli. Pourtant, ce n’est pas votre histoire qui vous trompe mais bien L’Histoire, celle écrite par le pouvoir, celle que nous sommes censés valider, et qui s’écrit aussi avec l’oubli.
Sarah est une historienne qui a compris que l’objectivité de l’Histoire est un mensonge.
Elle regarde, écoute, collecte, colle, compose, assemble et transmet.


Geoffrey Crespel - Sarah Feuillas