Lorsque le souffleur approche sa canne du moule fabriqué par Sarah Feuillas, la chaleur augmente, la tension se fait sentir. Si l'artiste a anticipé la forme finale de l’œuvre, elle ne sait pas exactement ce qu'il va se produire lors du soufflage. Sous l'impulsion du verrier, la pâte en fusion gonfle progressivement et pénètre les interstices laissés libres. Et tandis que les vides se comblent de parois translucides, le matériau originel du moule se modifie sous l'action du verre en fusion. Sarah Feuillas laisse les matières se transformer conjointement tout en contrôlant leur altération.
Ses moules, qu'ils soient en bois ou en métal, sont toujours le résultat d'une synthèse des formes rencontrées dans le contexte de l'exposition. Par exemple, pour Under construction, les structures de bois [Rose up, 2019] sont un développement dans l'espace à partir des carreaux de faïence du sol. La succession d’arêtes est également une reformulation des parallélépipèdes imaginés par Marcel Breuer en 1969. Autre exemple avec les tubes de métal habituellement utilisés pour les échafaudages [Rose up, 2019]. Ici, ils dialoguent avec le refuge-tonneau conçu par Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand en 1938, installé sur les pentes de la station.
Bois, métal, sable, PVC, bâche, etc. Les matériaux utilisés sont une référence certaine au temps primaire de la construction ; où l'esthétique du chantier prédomine. Dans notre esprit apparaît toute une série de « constructions » sortant de terre avant les bâtiments et disparaissant dès lors que l'inauguration s'annonce – under.
Dans le même espace d'exposition, les images qui apparaissent sous forme de photographies en noir et blanc, en négatif, quasi transparentes pour certaines, découpées en lanières pour d'autres, montrent des construction. Nous connaissons peu de celles-ci – ruine, friche ou chantier – mais le doute persiste moins sur leur origine que sur leur devenir.
Or, lorsqu'au détour d'une route, un panneau indiquant « under construction » se dresse, nous avons tendance à marquer un coup d'arrêt. Cette information fait office d'injonction freinant notre flânerie. Dans le même temps, cette expression nous transporte dans un ailleurs, un futur, un possible, l'annonce que quelque chose peut advenir.
D'une certaine manière, l'exposition fonctionne ainsi. Les structures éphémères sont une série d'interdictions physiques et visuelles qui définissent notre déambulation. Les images qu'elles permettent de montrer sont à l'inverse une ouverture universelle sur le monde, « une 2D augmentée, un mirage ». Pour Sarah Feuillas, elles offrent à Flaine la possibilité de quitter son statut d'« enclave s'ouvrant sur le monde deux fois par an ».
De Pardis (Iran) à Ostie (Italie), de la Rome antique aux années 2000, tout ici fait référence à la visée utopique qui fût aussi le moteur de la construction de Flaine en 1969. Si l'image de la station est absente, elle n'en est pas moins persistante, au même titre que les photographies spectrales présentées. Dès lors, pouvoir pénétrer ces images (lanières, transparence, etc.), c'est, en quelque sorte, pénétrer la matérialité de l'image pour rendre concret ce qui reste des utopies.
Notre regard divague d'îlot en îlot, de « scénario » en « scénario », à travers les transparences et les vides, au contact des matériaux manufacturés et des matières organiques pour former une architecture mentale dans laquelle les images et les formes interrogent ce que signifie construire.