Format à l'italienne 9

2018

Entrevoir une scène.
Il y a le topos, le lieu, et la façon dont il est investi par le regard. Sarah Feuillas empêche l’œil de situer ce qu’il voit. En multipliant les dispositifs qui dévient la généalogie du réel, Sarah Feuillas nous mène là où elle veut, c’est-à dire, dans l’impossibilité d’un lieu, l’indétermination d’un espace, face à face avec ce que Michel Foucault a défini comme étant une hétérotopie. Elle cite volontiers le philosophe.

Dans un texte de 1967 devenu classique mais d’abord non publié jusqu’en 1984, il définit son temps à travers ce paradigme « Nous sommes à l’époque du simultané, nous sommes à l’époque de la juxtaposition, à l’époque du proche et du lointain, du côte à côte, du dispersé. » Cette bribe de conférence menée au Cercle d’études architecturales, définit bien ce qu’il est possible de ressentir face aux images et aux pièces en volume de Sarah Feuillas. Prenons par exemple le pan photographique de ses créations, rien ne le décrit mieux que ce « proche et lointain », cette « juxtaposition ». Les vues d’architectures le plus souvent s’entremêlent, se côtoient pour mieux se fondre. Le décor change sans cesse et se recompose comme dans Glimpse, (2018), tirage argentique foisonnant présenté derrière une lanière de PVC pour mieux l’absenter. Nous sommes face à une scène ouverte que le regard modèle au fur et à mesure. Aussi, chaque regardeur est-il livré à l’expérience de l’interprétation.

Dans Overlayed scenes (Scrolling around), (2013 – 2017), ensemble de 160 photographies imprimées sur rhodoïdes qui défilent et inondent la vue, les superpositions photographiques génèrent un amoncellement d’images stratifiées. Il faut tourner autour de cette composition pour trouver ses repères. Celle qui ne s’estime pas photographe dans son acception traditionnelle, utilise la photographie comme moyen ou outil. Un outil qui lui permet de gagner le territoire de l’installation. L’artiste tient plus de la plasticienne de l’image que de la photographe, on le concède. Elle invite à déambuler autour de ses compositions comme on pérégrinerait dans un paysage inconnu, parfois hostile, jalonné de béton, volontairement disgracieux et porteur d’un sens à découvrir comme dans Oush Grab realisé entre 2013 et 2015. Sarah Feuillas convoque des espaces marqués, typés, chargés en histoire, dans lesquels on ne vit pas facilement, rencontrés lors de ses voyages en Palestine ou en Ukraine.

Pour Overland, série de douze moules en bois noirci dont la forme encapsule un verre soufflé, on retrouve cette idée d’une architecture contrainte. Elle souffle elle-même le verre comme pour donner vie à un espace intérieur. Plus précisément, redonner vie à un espace meurtri. Ainsi, bois et verre en cohabitant offrent un monde où la paix paraît retrouvée.


Léa Chauvel-Levy