Fragment, CCN Orléans

2016

Fragments, exposition monographique de Sarah Feuillas, implante au sein du Centre Chorégraphique National d’Orléans un condensé de représentations construites, d’observations minutées, de protocoles ex vivo à échelle réduite, des multiples dysfonctionnements engendrés par l’effacement de l’État de droit ou du moins, de l’État atténuateur de conflits.

Un morcellement visible dans l’ensemble de collages Villa Nova (2012). Après un voyage en Cisjordanie, Sarah Feuillas a collecté des centaines de prises de vue d’architectures en devenir ou de vestiges d’affrontements. Le collage intervient ici comme suture dans un paysage défait, un moyen de recomposer un paysage dont la désolation appelle à un espace de projection mentale : un paysage de substitution.
Sarah Feuillas s’est attachée en particulier à discerner dans le paysage urbain de cette région, les marqueurs de la crise latente qu’elle connaît, dans ses formes architecturales et son organisation sociale. En surgit avec force, l’esthétique de la ruine. Ici la ruine renvoie à l’expérience sensible de la perte et de l’absence faisant éprouver un monde défait où l’acte créateur succombe devant le ressenti de son observateur. Si cette notion persiste dans l’œuvre de Sarah Feuillas, l’artiste s’éloigne du paradigme romantique : la ruine ici n’incarne pas le témoin archéologique d’une civilisation disparue mais bien le fragment d’une civilisation dont le morcellement est vécu en temps réel.

Obvie (2013) archive l’irrationnel induit par l’état d’urgence. La ruine architecturale trouve son corollaire dans l’organisation sociale. En réponse nous voyons des groupes humains accomplir des actes « rituels » dont la finalité n’est pas immédiate ou manifeste. Ceux-ci se repèrent par leur caractère répétitif et immuable. Le rite recouvre une série d’actions très précises, accomplies à un moment particulier et dans un ordre déterminé qui varie en fonction de critères eux-mêmes contrôlables. Obvie (2013) pose un regard critique sur cet ensemble d’habitudes codifiées dont la répétition mécanique tend à les vider de leur signification. De la ronde militaire au défilé de touristes, des balles traçantes à la procession religieuse, de la prière à la vidéo sur téléphone mobile, la succession de ces plans-séquences en montage parallèle, marque d’une part l’efficacité du performatif dans les rituels politiques – la double preuve du bien fondé de l’obéissance au pouvoir associé à une exaltation collective donnant à voir un idéal harmonieux d’une société et d’autre part l’angoisse individuelle générée par le décalage évident entre l’idéal poursuivi et la réalité politique concrète.

Quelle position adoptée face à ce que Cyprien Gaillard a nommé « le vandalisme d’État » ? Le vandalisme d’État rend relatif d’autres formes publiques de vandalisme comme le graffiti, le jet de pierre ou la voiture brûlée, actes suggérés par les pare-brises d’ambulance de l’installation Défendu (2011). « Défendu » selon les mots de l’artiste comme mot d’ordre à double sens « défendre de » et « se défendre, contourner les règles de sécurité, mais aussi agir, être en mouvement, décider ». Ces pare-brises à taille humaine, sont des ouvertures mimant un mouvement statique vers l’extérieur, ici une fenêtre. À l’image de Villa Nova (2012), il est question de projection, non sans évoquer comme chez Cécile Bart la possibilité du mouvement inverse, à savoir, l’irruption du dehors vers le dedans, un renvoi vers La Fenêtre ouverte (1905) dont Matisse disait : « probablement de ce que, pour mon sentiment, l’espace ne fait qu’un depuis l’horizon jusqu’à l’intérieur de la chambre-atelier, et que le bateau qui passe vit dans le même espace que les objets familier autour de moi, et le mur de la fenêtre ne crée pas deux mondes différents. ».


Florence Macagno