Comme elle vient

septembre 2011

Collection Rosenblum

Exposition collective des lauréats du Prix des amis des Beaux-Arts avec Claire Chesnier, Marin Esteban, Sarah Feuillas, Jean-Baptiste Moreira, Achraf Touloub

Texte de Daniel Dobbels
Cette nouvelle brûlure du temps

L'espace, à la première sensation, semble lissé et calme (le lieu d'une sourde accalmie), et pourtant, presque insensiblement, on comprend qu'il est gradué, discrètement filtré et distillé, comme par un alcool blanc que plusieurs présences auraient su se partager, créant la plus sobre et la plus légère des fièvres. Il y a là une passion que quelques êtres laissent monter non seulement des œuvres qu'ils ont créées mais aussi des rapports qu'elles dessineront entre elles, avec une rigueur réelle mais sans effraction ni abus de pouvoir. L'impression est celle d'un pacte muet (sujet au minimum de discussions, ne portant pas à débat) où surfaces et profondeurs, volumes et plans, tons neutres et couleurs, sonorités et silences, âpretés et douceurs, ne parviendraient pas à se contredire ni à s'opposer mortellement. Timbre rare, alliances subtiles : l'air est à venir et il se respire déjà… comme d'une coulisse qui serait aussi essentielle que la scène.

Pressentiment d'un choix, commun, et d'un accord, intime : la scène n'est pas de mise. Si singulières soient-elles, les pièces, montrées, découpées suivant une loi qui leur est propre et nécessaire, semblent se détacher de toute idée comme de tout fond de représentation. Ce détachement est essentiel car il marque une double astreinte, à laquelle chacun donne son assentiment : celle, d'une part, de ne rien céder à l'indifférence, celle, d'autre part, de ne rien concéder aux formes de présentation déjà éprouvées et épuisées. S'il y a une blessure (ou une intensité dramatique) elle ne sera pas exposée, encore moins révélée, mais traitée indirectement, avec la plus nue des délicatesses, avec un soin qui se fait alors le témoin d'un traitement exact (ni censure abstraite, ni débordement cherchant à rendre compte de l'excès qui met en cause).

De quel soin, chacun d'entre eux (Claire Chesnier, Mathieu Bonardet, Achraf Touloub, Jean-Baptiste Moreira-Bessa, Sarah Feuillas, Marin Esteban) a-t-il fait preuve ? D'une intelligence de traitement ne donnant lieu à aucun diagnostic, veillant, de ce fait, à ne pas nommer ce qui serait la maladie de ce temps (le leur, le nôtre). Ce sont des pièces travaillées avec soin et précision, posant chaque fois la règle de leur délimitation, sorties, toutes, de la cendre, du dépôt, du symptôme et de la généralité. Elles savent ce que brûler a voulu dire, ce que brûler, aujourd'hui, exige comme passion nouvelle. Chacune d'entre elles mériterait une approche circonstanciée, détaillée et affinée et ne pas se l'accorder serait faire preuve d'une sourde injustice, mais, sans vouloir justifier ici la forme abrégée de ces lignes, et pour éclairer ce regret, il n'est pas interdit de rappeler cet étrange aphorisme, valant comme vœu ou comme axiome, de Duchamp : «Enfin une réglementation des regrets d'éloigné à éloigné».

L'impression qui émane de cet accrochage partagé – d'où tout accident semble exclu, toute violence conjurée (celle des plus profondes vulgarités) – repose sur un énoncé qui n'a pas à être formulé mais se conjugue et se module en fonction de chaque pièce : «il n'y a rien à regretter». Des encres sur papier de Claire Chesnier à la Terre d'ombre de Marin Esteban, de l'installation Sans titre de Sarah Feuillas à l'END crédits d'Achraf Touloub, des mines graphite sur papier de Mathieu Bonardet à 114OHz de Moreiras-Bessa, nulle voie tracée d'avance, nulle interprétation réductrice, supposant, induisant là un creuset d'idée commune (par exemple, sur ce que serait l'art d'aujourd'hui). Or, c'est bien de cela qu'il s'agit aussi et peut-être : de ce qu'est l'aujourd'hui d'une œuvre. Et dans cet adverbe de temps, c'est un feu qui est en acte, ne détruisant pas, mais ravivant tous les éléments (papier, son, image, verre, terre noire, sangle, tourbe, caoutchouc, bois, lecteur cd, amphi, couleurs et teintes, etc.) servant non seulement d'appui mais de «subjectile» (le terme a repris sa valeur hors d'usage, intraitable, chez Artaud) de manière (et de matière) non servile, non asservie. La pensée dont chaque œuvre est la concrétion, échappe à la vulgarité de ces temps. Elle ne se résout à rien de connu. Elle reprend (l'expression peut sembler plus qu'inappropriée) un flambeau qu'il faudrait tenir éteint et vibrant, éclairant ce qui a été infiniment crypté, mais n'aveuglant ni le regard ni l'attente.

L'émotion propre à cette exposition tient en ce trait : ces artistes travaillent sans effroi, ni la lumière ni l'espace ni l'extrême tension du temps ne les paralysent, ils cherchent ce qu'il y a encore d'indéterminé (et de libre) et leurs œuvres en diffractent, distillent et produisent les premières épures. Ils se donnent le temps et ce temps leur revient comme une promesse tenue.


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